Pourquoi je fais le tour du monde

C’est en novembre 2014 que le projet de faire le tour du monde est revenu à mon esprit comme une évidence. J’entamais ma dernière année de Supérieur : il était grand temps de commencer à réfléchir à l’après. Si l’on me demandait pourquoi je veux faire le tour du monde, je serai bien embêtée pour répondre. Je crois que la grande majorité des gens font le tour du monde par envie et par volonté. Je partage cette dimension, bien sûr, mais elle est secondaire dans ma conception d’une telle entreprise. Je crois que la réponse la plus honnête que je pourrais donner est la suivante : je fais le tour du monde par devoir. Le plaisir et le bonheur d’un tel voyage, dans mon esprit, ont moins de poids que sa portée existentielle et philosophique, c’est-à-dire le sens que prend ce voyage dans le contexte de mon existence. Pour être plus précise, je dirais : le plaisir et le bonheur de ce voyage seront la conséquence de sa portée existentielle et philosophique, dans le contexte de ma vie.
Oui, profondément, je fais le tour du monde par devoir. Je fais le tour du monde parce que, à l’âge de 14 ans, vers une ou deux heures du matin, éclairée dans mon lit par la lumière d’une vieille lampe, dans une sorte d’état de transe propre à tout acte créateur, j’ai écrit, déclaré, prononcé cette phrase : « Un jour je serai bédouin. Je m’achèterai un chameau et je ferai le tour du monde. » Cette phrase était tout sauf un délire d’adolescent. Je me souviens précisément, dix ans plus tard, de l’état émotionnel dans lequel j’étais au moment d’écrire cette phrase, et le texte qui a découlé de cette phrase. Cet état émotionnel, profondément intense, fort, vif ; cet état fait qu’aujourd’hui le tour du monde sonne pour moi d’une certaine manière. Je ne fais pas le tour du monde pour faire le tour du monde. Je fais le tour du monde parce que tous les parfums, toutes les sensations, toutes les émotions ressenties durant des années et des années, ces années à écrire « je ferai le tour du monde » me possèdent et m’aimantent entièrement, me bouleversent, me fascinent d’une manière telle qu’ils définissent qui j’ai été, qui je suis encore et qui j’aspire à être.

L’histoire du tour du monde, dans ma mythologie personnelle, est une histoire un peu plus ancienne que cette anecdote. Comment en suis-je arrivé, un jour, vers le début de l’adolescence, à fonder la totalité de mon avenir sur cette injonction : « Je ferai le tour du monde » ? Cela reste un mystère. Mais une chose est sûre, ma vie entre mes 13 et 23 ans fut teintée de cette éternelle aspiration, de ce saint Graal, de ce désir absolu et inné que je pense pouvoir nommer vocation.

Je fais le tour du monde par devoir. Je dirais même : c’est mon devoir de faire le tour du monde. Ne pas le faire serait un outrage à cette personne qui, presque la moitié de sa vie, n’a parlé que de cela. Il n’y a rien de pire que de ne pas tenir les promesses que l’on se fait à soi-même ; surtout quand celles-ci s’étalent à ce point dans le temps, venues tout droit des temples sacrés de l’enfance ou de l’adolescence.
Mais pire encore, ne pas le faire serait un outrage à la personne que je suis aujourd’hui. Et en réalité, pour donner un ton moins sentencieux à ce que je suis en train de raconter, je ne vois absolument pas ce que je pourrais faire à part le tour du monde. Aucune direction de vie ne me paraît plus souhaitable et nécessaire que celle-ci.
Le tour du monde appartient à mon imaginaire. Il a de la valeur pour moi parce qu’il appartient au monde (coloré) de mon imaginaire, depuis des années et des années, de façon tout à fait arbitraire (ou presque), puisque jamais vécu. Effectivement, J’aurais pu me passionner pour les courses hippiques – parce qu’un jour quelque chose aurait allumé cette étincelle, et que mon imagination aurait embelli la chose –  et aspirer pendant dix ans à vivre des courses hippiques. Mais le destin a voulu que ma lubie s’oriente vers le tour du monde, et non pour les courses hippiques ou la collection de timbres.
 Vers 15 ans, je m’imaginais un peu comme Don Quichotte ; complètement dingue et décalée, peur de rien et surtout pas du regard des autres, l’air grandiloquent, en route vers de perpétuelles aventures rocambolesques que je serai la seule à percevoir. Je perçois toujours plus ou moins mon tour du monde de cette façon. Le grain de folie, l’audace, l’esprit de conquête sont des choses qui me meuvent depuis toujours. Lorsque l’on fait les choses par devoir, avec le côté sérieux que cela engage, il est vital d’équilibrer cet aspect avec une dose nécessaire d’humour et de légèreté. Ce tour du monde est certes une révolution intérieure et personnelle, un rite initiatique obligatoire ; la fin d’un cycle et le début d’un autre – mais c’est aussi une fantaisie poétique, un immense éclat de rire face à la dimension tragique de l’existence, un doux sourire au regard des beautés du monde.
J’ai passé de longues heures à rêver des voyages lointains, aventureux, perdus dans l’immensité du bout du monde. Je me demande parfois si l’intensité d’une pensée n’est pas plus forte que l’expérience vécue. Parfois, elle l’est. D’autres fois, c’est l’expérience qui gagne.
Je me demande si les émotions que je ressentirai durant ce long voyage seront aussi fortes que celles que j’ai pu ressentir durant toutes ces années à rêver le tour du monde, à le penser, à l’écrire mille et une fois dans ma tête. On en revient à l’éternelle question : qui de la vie ou de la littérature est la plus émouvante ? Lorsqu’elles fonctionnent ensemble, lorsqu’elles sont vécues simultanément, je crois que l’on se confronte souvent à une certaine forme de magie, une magie qui nous transporte au-delà du voyage lui-même. Au fond, c’est pour cette union unique que je fais le tour du monde. L’union de l’Art et de la Vie.
 

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