Du spirituel dans l’art et dans la politique

Il y a quelques temps que je pense aux liens qui unissent la politique – au sens grec et premier du terme : la gestion de la cité – à l’art et au spirituel.
Nous oublions souvent que la chose politique a un impact profond sur la manière dont nous gérons et menons notre vie au quotidien ; combien elle influe la façon dont nous pensons, dont nous nous comportons et nous développons. La chose politique – c’est-à-dire le choix que nous faisons d’organiser le monde de telle ou telle manière – conditionne partiellement ce que nous avons de plus précieux : notre vie sur Terre.

Quelle expérience ferais-je de l’existence si l’organisation sociale était différente de celle-ci ? Quelle perception du monde pourrais-je avoir ? On peine à imaginer un monde et des vies qui ne connaîtraient ni buts, ni schémas, ni frontières : simplement une page blanche. Leur essence réside pourtant dans ce vide ; ce vide qui est un vide plein. La société moderne a organisé la vie d’une manière si élaborée que nous avons oublié le mouvement premier, primordial, primitif du monde et de l’existence : l’être.
L’humanité n’a d’autre vocation que celle-ci : l’être, qui n’a ni but, ni schéma, ni frontière. L’être est ce je-ne-sais-quoi que tu ressens lorsque tu observes intensément une chose que tu trouves si belle qu’elle te transporte dans un présent infini, déconnecté de toute préoccupation – cette chose belle te mène dans un état intérieur si profond que tu découvres en toi une harmonie que tu ne soupçonnais pas.
Cette chose belle peut être un paysage, un tableau, une personne, un geste, une musique, une pensée. L’être est cet éternel présent, ce mouvement de vie hors de l’espace-temps, cette paix totale, entière ; c’est l’Homme dans ce qu’il est de plus grand, de plus élevé, de meilleur – c’est-à-dire de plus spirituel.

La spiritualité n’est rien d’autre que cet état d’être. C’est l’abandon de toute forme de but. Tout est déjà là, ici et maintenant. L’entièreté du désir humain se contient dans l’être : ce sentiment d’éternité qui est Beauté universelle et intemporelle ; ce fragment de grâce qui remplit entièrement le coeur et mène naturellement l’homme vers le Bien et le Vrai. Lorsque tu ES, tu entres en connexion avec toute chose présente au monde. Tu as la force et la noblesse d’une meute de lions ou de loups. Ton esprit se libère et devient créateur. A cet instant, tu ne désires plus rien ; tu es ce vide plein qui entre en résonance avec le trio libérateur : le Bien, le Beau, le Vrai – qui ne sont pas des concepts mais des réalités palpables et insondables, et dont le meilleur synonyme semble encore aujourd’hui être l’Amour : Amour universel, intemporel ; cette chose innommable que seul l’Art peut exprimer avec justesse, cette chose insondable que le langage ne peut aborder – cette ultime chose qui te fera devenir ce que tu es vraiment.

L’Art est le meilleur moyen d’exprimer le Beau, c’est-à-dire le sensible viscéral.
La recherche spirituelle est la meilleure façon de comprendre et de ressentir le Vrai, c’est-à-dire l’unité et l’interdépendance de toutes choses.
La politique est le moyen le plus efficace pour répandre le Bien dans une société – le Bien, c’est-à-dire le rire, l’amitié, la légèreté du coeur, la souplesse de l’esprit, l’intelligence qui aime.
Toute volonté politique, pour libérer l’Homme, doit être d’essence spirituelle. Toute nécessité artistique intérieure est d’ordre spirituel.
Toute volonté de libérer l’individu et la société des carcans qui les enchaînent ne peut porter ses fruits que si elle d’essence spirituelle. L’Art peut libérer l’individu. La chose politique peut libérer une société.
Il est temps que l’Art et la politique, de concert, reprennent leur véritable dessein et leur nature première, qui est de guider et d’inspirer l’Homme vers son unique but : croître dans son être.
 

« Il faut oser prononcer le mot qui nous a tant fait honte que jamais, politiquement, nous n’avons osé l’employer (…) Il nous a fait honte parce qu’il a couvert toutes les bassesses possibles (…) Il faut quand même le prononcer… nulle périphrase, nul substitut ne saurait remplacer le mot amour (…) L’amour est l’expérience fondamentalement positive de l’être humain. »
Edgar Morin – Introduction à une politique de l’homme.

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