La société occidentale dans laquelle nous évoluons est une conspiration discrète contre toute vie intérieure. C’est un fait qui depuis longtemps m’affecte beaucoup, personnellement et collectivement. Il y a quelques décennies, il était chose courante pour la jeunesse de l’époque de lire des tonnes et des tonnes de pages, dans des domaines aussi variés que la littérature, la philosophie, la sociologie ou la science. Le temps ne manquait pas. Ces lectures n’étaient pas de simples lectures : elles étaient des portes vers une compréhension du monde – une compréhension désirée, voulue, poursuivie avec passion. J’ai l’horrible sentiment que, de façon assez inédite, les jeunes générations – présentes et à venir – ne seront pas aussi cultivées que leurs aînés. Je ne veux bien sûr pas parler de la culture comme un empilement de savoirs bien rangés : il s’agit là de bien autre chose. Je veux parler de la culture, des savoirs, des connaissances comme désir, élan, aspiration à se connaître soi-même et à comprendre le monde ; comme capacité à recréer du sens par soi-même, par les voies de sa propre imagination. Ce que l’on pourrait appeler la curiosité, le goût de l’exploration, la volonté d’élargir son esprit et son champ des possibles afin de ne pas tourner dans un bocal à poisson toute sa vie. La culture comme état d’esprit, arme pacifique hautement liée à la remise en cause de l’ordre établi, et de toutes choses acquises comme étant la norme.
Fut un temps, je crois bien, où les garçons et les filles de nos âges passaient un temps certain à lire, à écrire et à s’écrire, à rêvasser, à flâner sans que rien ne vienne jamais interrompre ces activités. Le temps présent était le temps présent. J’ai l’horrible sensation que quelque chose dans cette société occidentale nous vole une des choses les plus précieuses qui soient, nécessaire pour faire vivre toute vie intérieure, et donc toute créativité : la sérénité et la concentration, c’est-à-dire le sentiment et l’expérience du moment présent. Le moment présent n’est plus. Le moment présent n’est pas seulement le moment présent : il est aussi le moment passé, le moment futur, à la fois ici mais aussi ailleurs.
Nous avons une relation à Internet, aux réseaux sociaux et à nos téléphones portables qui chez nombreux d’entre nous frôle la pathologie. Ces inventions, si souhaitables et révolutionnaires soient-elles, ont un impact absolument terrible sur notre capacité de création et notre capacité à faire vivre notre vie intérieure. Elles fragmentent la vie, le temps, l’espace ; elles dispersent l’attention, empêchent toute concentration réelle, détruisent toute bribe d’imagination ; elles nous hypnotisent tel le serpent de Mowgli. Tu es au bar avec un ami : tu as posté telle chose sur Facebook, et quelque chose en toi à terriblement envie de savoir qui a réagi à cette chose. En fait, tu n’es pas au bar avec ton ami. Tu es dans l’impatience de savoir qui a dit quoi sur ce que tu as dit, ce qui te met dans un état d’excitation et te déplace hors de l’instant présent. Puis tu te connectes et tu prends conscience que ce que tu espérais n’est pas à l’image de la réalité. Par une force que tu n’expliques pas, tu vas descendre cette timeline de façon quasi frénétique, en lisant en diagonale ce que les autres racontent. Tu ne sais pas vraiment pourquoi tu fais cela, mais tu le fais. Cela peut prendre plusieurs minutes. Tu es hypnotisé.
Nous avons une relation à Internet, aux réseaux sociaux et à nos téléphones portables qui chez nombreux d’entre nous frôle la pathologie. Ces inventions, si souhaitables et révolutionnaires soient-elles, ont un impact absolument terrible sur notre capacité de création et notre capacité à faire vivre notre vie intérieure. Elles fragmentent la vie, le temps, l’espace ; elles dispersent l’attention, empêchent toute concentration réelle, détruisent toute bribe d’imagination ; elles nous hypnotisent tel le serpent de Mowgli. Tu es au bar avec un ami : tu as posté telle chose sur Facebook, et quelque chose en toi à terriblement envie de savoir qui a réagi à cette chose. En fait, tu n’es pas au bar avec ton ami. Tu es dans l’impatience de savoir qui a dit quoi sur ce que tu as dit, ce qui te met dans un état d’excitation et te déplace hors de l’instant présent. Puis tu te connectes et tu prends conscience que ce que tu espérais n’est pas à l’image de la réalité. Par une force que tu n’expliques pas, tu vas descendre cette timeline de façon quasi frénétique, en lisant en diagonale ce que les autres racontent. Tu ne sais pas vraiment pourquoi tu fais cela, mais tu le fais. Cela peut prendre plusieurs minutes. Tu es hypnotisé.
Ce temps que nous passons chaque jour dans des activités qui, soyons lucides, ne valent pas vraiment la peine d’être vécues ; ce temps que nous tuons chaque jour consciemment, nous ne le passons pas à lire, ni à écrire, ni à flâner dans le silence, ni à être calmes dans nos esprits. Parce que nous sommes perpétuellement, toujours, tout le temps sollicités. Nous sommes sollicités par la télévision, Internet, les e-mails, les relations sociales sur le web, les publicités, le diktat social de l’apparence qui touche surtout des jeunes qui ont aujourd’hui entre 13 et 19 ans. Cette sur-sollicitation annonce le déclin d’une chose fondamentale, dirais-je même vitale à toute société : l’aptitude de l’individu à créer, à se connaître, et donc à être en paix.
Il y aura toujours des génies de l’imagination, des artistes et des créateurs, des érudits passionnés : cette chose vibrante qu’est la création et la connaissance est pour eux une nécessité vitale, une question de vie ou de mort. Mais ce ne sont pas pour ces êtres possédés par l’art, la culture, l’intériorité et les savoirs que je m’inquiète. Je m’inquiète pour la petite fille née en 2001, qui à l’âge de 11 ans était déjà inscrite sur Facebook ; cette petite fille qui ne prend pas un livre dans ses mains parce qu’elle se sent obligée de répondre à ses messages et que cela lui prend un certain temps ; cette jeune fille qui aujourd’hui à l’âge de 15 ans subie une pression sociale à l’école, est accrochée à son téléphone malgré elle, reçoit une dose d’informations quotidiennes considérable ; doit passer encore un temps certain à faire des devoirs scolaires qui l’angoisse, tracassée par ce message qu’elle a reçu de cet ami qu’elle ne connaît que virtuellement – perpétuellement sollicitée, stressée, fatiguée ; trouvant l’évasion dans l’alcool plutôt que dans la rêverie. Pourtant, cette fillette – si on lui en avait donné l’occasion, l’espace, la disponibilité d’esprit – aurait pris un plaisir immense à jouer seule avec des cailloux dans l’herbe de son jardin à l’âge de 11 ans, à peindre des toiles et à écrire des romans vers ses 15 ans ; à penser tranquillement aux choses du monde et de la vie, à se rendre compte que quelque chose dans cette société ne tourne pas tout à fait rond, et, qui sait, à vouloir changer le monde.
Rasurez-vous si j’ose dire je suis moi-même inquiète du monde qui se prépare.
Vous avez entièrement raison, vous êtes une jeune femme pourtant, mais avec la grandeur d’esprit qu’on ne voit plus depuis longtemps.
J’aurai voté pour vous, si cela mettait autorisé, néanmoins je me contenterai de prendre une part à l’espoir que vous inspirez au retour des equilibres sociaux non à la France seulement, mais au monde entier.
C’est possible, je le crois.